C’est un tournant majeur pour la protection de la vie privée en Europe. Le jeudi 30 octobre 2025, l’Union européenne a décidé d’abandonner le dispositif le plus controversé de son projet de loi contre la pédocriminalité en ligne : le « Chat Control », une mesure qui aurait permis de scanner automatiquement les conversations privées sur les messageries cryptées comme WhatsApp, Signal ou Messenger.
Cette décision met fin à trois années de débats intenses entre les États membres, les associations et les défenseurs des libertés numériques.
Proposé en 2022 par la Commission européenne, le texte visait à lutter contre la diffusion d’images pédopornographiques sur Internet. Soutenu par plusieurs ONG de protection de l’enfance, il devait obliger les plateformes numériques à détecter et signaler les contenus illicites, y compris dans les discussions privées.
Le Parlement européen rappelait que plus de 100 millions d’images d’enfants victimes d’abus ont été détectées en 2023, et que les sollicitations sexuelles visant des mineurs ont augmenté de 300 % en deux ans.
Mais cette ambition s’est heurtée à une autre priorité tout aussi fondamentale : la protection de la vie privée et du chiffrement des communications.
De nombreux eurodéputés, ainsi que des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, ont dénoncé une atteinte disproportionnée à la vie privée.
Le recours à une technologie de surveillance capable de scanner les messages chiffrés a été perçu comme une menace directe pour la confidentialité des correspondances.
Comme le souligne France 24, cette mesure aurait créé « un précédent dangereux en matière de cybersécurité et de droits fondamentaux ».
Face à cette impasse politique, le Danemark, qui assure la présidence tournante de l’UE, a pris la décision de retirer la disposition du texte, dans l’espoir d’obtenir un consensus sur une version allégée du projet de loi.
Le nouveau compromis proposé par Bruxelles autoriserait les plateformes à détecter les contenus pédopornographiques uniquement sur une base volontaire, sans obligation légale ni décision judiciaire.
Autrement dit, les entreprises comme Meta, Google ou Apple pourront continuer à signaler des contenus illégaux, mais sans que cela soit imposé par une loi européenne.
Pour Peter Hummelgaard, ministre de la Justice du Danemark, il s’agit d’un « compromis imparfait mais nécessaire » :
« Ce ne sera pas l’offensive contre les abus sexuels sur les enfants dont nous avons besoin, mais ce sera mieux qu’un véritable recul. »
Selon l’Internet Watch Foundation (IWF), près de 62 % des contenus pédopornographiques mondiaux sont hébergés sur des serveurs européens, un chiffre qui souligne l’urgence d’agir sans compromettre les droits fondamentaux.
De son côté, Patrick Breyer, eurodéputé allemand et figure du mouvement de défense de la vie privée, a salué « une demi-victoire » pour les libertés numériques :
« C’est un triomphe pour le droit à la confidentialité, mais d’autres articles du texte restent liberticides, notamment ceux qui imposent un contrôle d’âge pour les applications de messagerie. »
À l’heure où les discussions se poursuivent à Bruxelles, l’Europe devra trouver un équilibre entre sécurité publique et vie privée, sans sacrifier l’un au profit de l’autre.